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Inquiétantes répercussions des feux de forêt australiens de 2019-2020 sur la stratosphère

Les incendies de forêt de l’été dernier en Australie nous ont marqués par leur extrême intensité et leur impressionnante étendue. La sécheresse, les températures élevées, elles-mêmes favorisées par le changement climatique en sont les principales causes.

Ces méga-feux ont eu des conséquences délétères tant sur l’environnement et la biodiversité que sur l’économie. Une étude publiée dans une nouvelle revue du groupe Springer Nature « Communication Earth and Environment », nous apprend que ces feux ont aussi eu des répercussions non négligeables sur la stratosphère, la deuxième couche principale de l’atmosphère (entre ~12 et 50 km). Ces répercussions s’avèrent inquiétantes et devront être prises en compte dans les modèles de changement climatique dans la mesure où les feux de forêt sont probablement amenés à devenir plus fréquents et plus importants dans le futur. Sergey Khaykin, le chercheur au Latmos /IPSL, revient sur cette découverte.

Comment les incendies des forêts australiennes ont-ils pu avoir un impact sur la stratosphère ?


Un phénomène atmosphérique spectaculaire associé à des feux de forêt très intenses consiste en des orages appelés Pyrocumulonimbus (PyroCb). Ces orages violents, portés par la chaleur des feux de forêt, peuvent générer de puissants courants ascendants, envoyant des panaches de particules de suie et de glace dans la stratosphère. Sans le lessivage par les précipitations, les particules de suie peuvent résider pendant de nombreux mois dans la stratosphère. Une fois dans la stratosphère, elles montent de plusieurs centaines de mètres par jour en raison du réchauffement de l’air, causé par l’absorption du rayonnement solaire par les particules de carbone suie. L’impact des Pyrocumulonimbus sur la stratosphère était considéré comme marginal jusqu’aux grands feux de forêt canadiens d’août 2017 qui ont provoqué des perturbations de la stratosphère à l’échelle planétaire, comparables à celles des éruptions volcaniques
modérées.
Cependant, jusqu'à la saison des feux de forêt en Australie en 2019/20, personne n'aurait pu imaginer les effets stratosphériques des feux de forêt. L'été noir australien a été
marqué par une activité des Pyrocumulonimbus exceptionnellement forte dans le sud-est du continent avec 5,8 millions d'hectares de forêt brûlée. Le plus fort événement, qui s'est produit la veille du Nouvel An, a soulevé un colossal nuage de mélange de fumée et de glace jusqu'à 15 km d'altitude. Deux semaines plus tard, les observations par satellite montraient déjà que la perturbation stratosphérique générée avait largement dépassé celle des feux des forêts canadiennes de 2017.

Quelles données avez-vous concernant les incendies australiens ?


Les feux de brousse faisaient encore rage en Australie lorsque nous avons commencé à suivre leurs panaches de fumée qui se dispersaient dans tout l'hémisphère sud. Nous avons examiné les données de plusieurs instruments de surveillance de l’atmosphère par satellite, notamment les mesures à très haute résolution des panaches d’aérosols réalisées par le lidar CALIOP. Les données de CALIOP ont mis en évidence une énorme bulle de fumée d’environ 1000 km de large et 7 km de haut étonnamment compacte qui s’élevait dans la stratosphère.

 : À gauche: bulle de fumée observée par CALIOP avec un contour blanc indiquant les limites du vortex. À droite: coupe longitudinale du vortex Koobor résolue par le système de prévision CEPMMT. La plus grande surprise est venue lorsque nous avons examiné les données météorologiques produites par le système de prévisions opérationnelles du CEPMMT (Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme), qui assimile la quasi-totalité des observations atmosphériques disponibles. Les champs de vent ont révélé un vortex (tourbillon d'air) anticyclonique quasi ellipsoïdal entourant la bulle de fumée montante. Ce gigantesque tourbillon, créé par le réchauffement local par les particules, a maintenu la
bulle de fumée confinée au sein de vents très forts pendant toute sa durée de vie. La bulle tourbillonnante contenait non seulement des particules de fumée, mais aussi plusieurs mégatonnes d’eau et de gaz de combustion des feux comme le monoxyde de carbone (CO). On a aussi constaté que les concentrations d’ozone étaient très faibles à l’intérieur de la bulle, indiquant un trou d’ozone à l’échelle synoptique.À la mi-mars, la plupart d'entre nous étaient confinés dans leur maison à cause de la pandémie de Covid-19, mais nous avons continué à suivre de près l'évolution du vortex
issue de l'événement de PyroCb du Nouvel An, étonnés qu'il continue à exister et à s'élever.

Dans notre équipe, le vortex a reçu le surnom de Koobor, en référence au premier Koala qui a grimpé au sommet des arbres pour échapper à ceux qui le persécutaient, comme le dit une légende aborigène. Seulement cette fois, Koobor a grimpé jusqu'à la stratosphère pour échapper aux incendies ! En effet, le vortex a survécu trois mois, pendant lesquels il a parcouru plus de 66 000 km et a grimpé jusqu'à une altitude impressionnante de 35 km. La dernière fois que des nuages de particules d'aérosol ont été observés aussi haut dans la stratosphère, c'était après l'éruption majeure du mont Pinatubo en 1991 ! Ce phénomène de vortex chargé de fumée n'a jamais été observé dans l'atmosphère et est spécifique au Pyrocumulonimbus. S’il est clair que le chauffage solaire par les particules de carbone noir a été la force motrice du maintien et de l'élévation du tourbillon de fumée, c'est un défi impressionnant de comprendre comment le tourbillon s'est auto-organisé et a
survécu pendant si longtemps malgré toutes les perturbations atmosphériques externes. Une autre découverte surprenante a été que le vortex Koobor avait une famille - deux petits vortex qui se sont développés à partir de petits nuages de fumée apparentés et ont survécu pendant de nombreuses semaines.

Voyage autour du monde de Koobor le vortex révélé par les champs météorologiques de l’CEPMMT.
 

Que doit-on en déduire ?

La capacité des nuages de fumée à s’auto-organiser en structures confinées en ascension augmente le temps de résidence des particules qui absorbent le rayonnement solaire, prolongeant ainsi leurs effets sur le climat de surface. Nous montrons dans l’étude que le blocage à l’échelle planétaire du rayonnement solaire par les particules de fumée du vortex a eu un impact plus important que les éruptions volcaniques modérées des trois dernières décennies. Avec le changement climatique, la fréquence et la gravité des feux de forêt devraient malheureusement augmenter. Nos résultats suggèrent que l’empreinte sur la stratosphère du nombre croissant de feux de forêt devra être prise en compte dans les études sur le changement climatique.